
LA DOT : FOND DE COMMERCE AU GABON !
Des marchandises aux espèces sonnantes et trébuchantes, à la parfaite maîtrise de l’art oratoire, le mariage coutumier est assimilé aujourd’hui à une marchandisation.
20 Pagnes, 10 foulards, 2 dames jeanne de vin, 10 liqueurs de tout genre, 1 mouton, 30 régimes de banane, 2 bouteilles de gaz, des caleçons pour le beau-père et divers cartons de boissons, de poissons salés ou de poulets … le tout couronné par une enveloppe dont le montant minimum varie entre 800.000 FCFA ET 2.000.000 FCFA, sinon plus.
Voici les armes que tout futur marié, doit avoir dans son escarcelle pour épouser une Gabonaise à la coutume. A ces aspects se greffent les barrages payants postés à l’entrée du lieu de la cérémonie, la dot de la nuit, reversée à la belle-mère. Une pratique propre aux populations du Sud du Gabon. Ainsi que la caution versée à l’orateur qui n’excède pas en général 150.000 FCFA.
« Autrefois, la dot était un acte rempli de symbole qui nécessitait un franc symbolique et quelques pagnes et liqueurs », relate un sage. Mais au cours de ces 10 dernières années, force a été de constater que le phénomène d’exonération des listes et des espèces sonnantes se contamine et se généralise dans toutes les ethnies du Gabon. Surtout, si la fonction du futur marié est connue par la belle-famille. Pourtant, jusqu’à un passé récent, le groupe ethnolinguistique ‘’Fang’’, était le seul réputé en la matière.
« J’ai failli tomber à la renverse lorsque j’ai vu la liste que mes parents ont dressé pour mon mariage. Lorsque ma sœur s’est mariée ce n’était pas la même chose. Enfin ! C’est parce que mon copain est magistrat je crois ! » Conclut Audrey L. L’amour qui, autrefois liaient les tourtereaux qui veulent sceller à tout jamais leur union devant ‘’les Hommes’’, est en passe de devenir un véritable fonds de commerce.
En juin dernier au quartier haut-de-gué-gué dans le 1er arrondissement de Libreville, un jeune couple a décidé de légaliser son union sur le plan coutumier. L’homme d’ethnie Punu (Nyanga) et la femme qu’il veut épouser est Nzébi (Ogooué-Lolo). Malheur a été pour lui d’avoir vécu en concubinage avec la ‘’fille d’autrui’’ pendant 5 ans.
Avant de lancer les hostilités propres au mariage à la coutume, il lui a fallu débourser la somme de 120.000FCFA, accompagnées de 2 liqueurs et de 2 pagnes pour l’étape dite des ‘’fiançailles’’. Entre autres, quelques billets ont été déposés avant de prendre la parole en français en terre inconnue.
« La tradition suppose qu’on doit parler en langue. Mais comme je n’ai pas de traducteur, je demande l’autorisation de m’exprimer dans la langue de Molière. Voici, 20.000 FCFA », dit-il. L’accord est donné par l’orateur de la belle famille. Et l’échange se poursuit.
Puis, vint l’étape de la dot, proprement dite. Là encore, le spectacle est à son comble. Les marchandises défilent à tour de rôle au point où, l’espace prévu refuse de tout contenir. Les jeunes, en charge de la livraison ont été obligés de surcharger les effets.
Tous les articles figurant sur la liste qui n’ont pu être achetés sont remplacés par un CFA. Le tout, sous le regard de la future mariée qui, à la fin devra valider son consentement ou non à la vue de la qualité et de la quantité des articles achetés, après que son futur mari ait, là aussi déposé 10 ou 20.000 FCFA. La cerise sur le gâteau, c’est l’enveloppe d’1.500.000 FCFA qui clos cet échange.
Le scénario prévu par la belle famille, c’est qu’une fois le montant de la dot connu, les ainés se retirent pour la validation ou non de la dite somme. Une fois de retour, l’orateur interpelle leur gendre sur le fait que sa fille est ‘’un maillot jaune’’, c’est-à-dire une femme belle, cultivée. En un mot une tête bien pleine et bien fête. « Maillot jaune, maillot jaune ! » crie en chœur, les sœurs de la future mariée. Bon gré, mal gré, 500.000 FCFA supplémentaires sont ajoutés. Ce qui équivaut à un montant total de 2.000.000 de francs.
Mais, contre toute attente, la belle- famille trouve à redire. « J’ai vu ce que vous avez apportez, c’est bien. Mais… chez nous les Nzébi deux symboles valident le mariage coutumier. Il s’agit de l’enclume et du bouc. Certes, vous avez prévu l’enclume mais sans le bouc il n’y aura pas mariage. Vous reprenez tout et vous repartez sans notre fille », somme l’orateur.
Ce qui de l’avis du gendre, est une ‘’surprise totale’’. Car tout ce qui figurait sur la liste officielle a été acheté. « Chère belle famille, j’ai la liste sous mes yeux. Ni au recto ni au verso il n’y a mentionné un quelconque ‘’Bouc’’ », souligne l’orateur. « L’erreur est humaine. Nous l’avons donc omis », regrette l’autre orateur. « Bon, demain, lorsque nous viendrons déposer la mariée, nous apporterons un bouc, c’est-à-dire un bœuf », promet la famille du mari. Quand on sait que le prix de cet animal n’est pas à moins de 500.000 FCFA.
Ce cas de plus, démontre bien qu’au Gabon ne se marie pas qui le veut, mais plutôt qui le peut. Des prétendants qui prenaient part à la cérémonie, ont estimé qu’« il vaut mieux épouser une femme étrangère, surtout de l’Afrique de l’Ouest. Avec ce qu’on voit là, ça ne donne pas envie. C’est une escroquerie pure et dure », déplore l’un.
« Les dépenses effectuées pour le mariage coutumier ne sont pas loin de celles relatives à la construction d’une maison ou de l’achat d’un véhicule. Le degré d’amour et de considération de la mariée, se mesure-t-il aux colossales sommes d’argent déboursées par le gendre et sa famille ? » S’interroge un autre.
Somme toute, beaucoup de couples qui aspirent au mariage ont du mal à franchir l’étape de l’union à la légalisation aujourd’hui. Car, l’aspect pécuniaire en est le principal frein. D’où le fait pour certains de demeurer dans le concubinage.
Au sujet de la dot, que prévoit la loi ?
De l’avis des juristes, « le mariage coutumier est prohibé par la loi », affirme N.L, un magistrat. En appui à la loi n°2/63, portant interdiction de la dot, en son article 3, « sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et, d’une peine d’amende de 36.000 à 360.000 francs ou à l’une de ces deux peines seulement, quiconque enfreindra les dispositions de la présente loi. Soit en exigeant ou en acceptant, soit en remettant ou en promettant aux parents des présents en argent ou en nature ».
MICHEL OGANDAGA